Partie 2 :
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« Je vous aime tellement que j’étais prêt à vous suivre jusqu’en Enfer… »Cette phrase tourne encore et encore dans ma tête depuis des heures,
m’empêchant de trouver le sommeil. Je ne me suis jamais disputé ainsi
avec Much depuis que je le connais. Nous nous sommes parfois chamaillés
mais ça n’a jamais duré et ça n’était jamais aussi grave… Je n’arrive
toujours pas à croire ce qu’il m’a dit au sujet de Peter… pourtant une
part de moi, qui, étrangement, me parle avec la voix de Petit Jean, me
dit que j’ai eu tort de rejeter Much comme je l’ai fait… Je sais qu’il
ne cherchait qu’à me protéger… comme il l’a toujours fait.
Une heure avant l’aube, nous entrons dans Nottingham, bien décidés à aller
délivrer la famille dont Much nous a parlé. J’essaye de ranger dans un
coin de ma tête les pensées qui me troublent. Il faut que j’aie les
idées claires pour sauver ces innocents, le reste peut attendre.
Lorsque nous arrivons dans la cour, le gibet est prêt, n’attendant que
ses victimes. La foule compacte est massée autour, curieuse. Je n’ai
jamais compris cet intérêt du peuple pour les exécutions publiques. A
chaque fois que j’ai dû y assister, j’en ai eu l’estomac retourné… mais
c’était avant de partir en Terre Sainte et de voir des spectacles bien
plus traumatisants.
Je suis tiré de me pensées par l’apparition de
Marianne, aux côtés de Gisborne. Elle est toujours aussi belle, mais je
détourne les yeux, dégoûté de la voir si proche de mon ennemi. Je ne
peux retenir un sursaut de surprise lorsque je vois Peter apparaître à
son tour, souriant, à la suite du Shérif. Je n’arrive pas à le quitter
du regard alors que les prisonniers sont amenés, enchaînés, jusqu’à la
potence. J’ai du mal à en croire mes yeux : il a l’air de jubiler !
J’ai à peine le temps de réaliser que Much avait sûrement raison à son
sujet que je vois celui-ci bondir sur l’un des gardes qui escorte les
prisonniers.
J’échange un regard rapide avec Will qui se tient à
côté de moi, puis je repousse ma cape, me dévoilant à l’assistance,
attrape mon arc et décoche une flèche en direction du bourreau. Très
vite, toute la troupe se retrouve occupée à combattre des gardes du
château. Je me débarrasse de mes deux assaillants, puis me précipite
vers les escaliers où je vois que Much est en mauvaise position. En
effet, Peter est après lui… et je sais très bien que mon ami d’enfance
est le plus fort des deux. Au moment où je gravis les marches, je vois
avec horreur Much trébucher, tomber en arrière et s’assommer contre le
mur. Il s’affale sur le sol, à moitié conscient. Peter, qui me tourne
le dos, lance d’une voix forte :
« Enfin ! Tu m’as assez gâché la vie ! Je vais enfin pouvoir me débarrasser de toi ! »
Il lève son épée au-dessus de Much, pointée sur son cœur et s’apprête à
l’en transpercer lorsque je me jète sur lui. Nous roulons sur le sol.
Peter tente de me frapper, mais je connais ses points faibles, les
mêmes que lorsque nous étions enfants, et je sais qu’il ne peut presque
pas se servir de son bras gauche. Je prends vite l’ascendant sur lui.
Une colère sourde s’empare de moi : il m’a trahi, s’est servi de moi. A
cause de lui, j’ai repoussé Much, je lui ai fait du mal alors qu’il ne
voulait que me protéger. La fureur qui a envahi mes veines me fait
perdre la tête : mes mains trouvent la gorge de Peter et serrent. Je ne
me contrôle plus. Il faut la force de Petit Jean pour me faire lâcher
prise.
« Robin, tu ne peux pas le tuer ! »
Je me débat, je veux
en finir avec Peter. C'est la première fois que je suis pris d'une
telle rage ! Même lorsque j'ai découvert que c'était Gisborne qui avait
tenté de tuer le Roi en Terre Sainte, je n'avais pas été aussi près de
la folie. Malgré sa force, j'arrive à m'échapper de l'étreinte de Petit
Jean et me précipite à nouveau sur Peter qui ne s'est pas encore
relevé. Au moment où mes mains retrouvent sa gorge, une voix familière
me parvient :
« Maître ! Laissez-le ! Il faut partir ! Maître ! »
Ma fureur ne se calme pas, au contraire, elle redouble.
« Je vous en prie… Robin… »
Much m’appelle si rarement par mon prénom que j’en suis surpris. Le voile de
brouillard qui obscurcissait ma raison se déchire légèrement. Sa main
se pose sur mon bras. Je la regarde un instant, puis lève les yeux vers
son visage. La lueur qui éclaire son regard, mélange de tristesse et
d'affection, me trouble, mais me permet de reprendre mes esprits. Je
relâche mon étreinte sur Peter. Je réalise que les gardes sont en train
de prendre le dessus sur mes compagnons. Je ramasse mon arc, tire
quelques flèches pour nous frayer un passage vers la sortie, puis
quitte la cour, suivi par le reste de la troupe.
Nous avons réussi à semer les quelques hommes de Gisborne qui ont tenté de nous suivre dans la forêt. Lorsque nous avons été sûrs que nous n'étions
plus suivis, nous sommes rentrés au campement. A présent, nous sommes
en sécurité au cœur des bois, là où personne ne viendra nous chercher.
Alors que les autres se congratulent pour avoir réussi à sauver la
famille de Nettlestone, je ne parviens pas à me réjouir. Je me sens
mal, honteux d'avoir douté de Much... et d'avoir failli tuer Peter dans
un accès de colère...
Je m'éloigne du groupe et vais m'asseoir
contre un arbre, assez loin pour que leurs voix me soient indistinctes.
Il fait froid aujourd'hui. Je resserre mon manteau autour de moi et
ferme les yeux. J'entends des bruits de pas. Je n'ai pas besoin de
regarder pour savoir de qui il s'agit. Il s'arrête en face de moi. Je
finis par ouvrir les yeux en soupirant mais je ne lève pas la tête. Je
n'ai jamais eu aussi honte de mon comportement de toute ma vie. Et ce
qui me fait le plus mal, c'est de l'avoir blessé... et de savoir qu'il
va me pardonner... parce qu'il est l'être le plus généreux que je
connaisse...
Much s'assoit face à moi, en tailleur, les bras croisés. Avant qu'il ne parle, je lance :
« Je suis désolé... de ne pas t'avoir cru... et de t'avoir rejeté aussi durement... »
Il ne répond pas, reste silencieux. Au bout d'un moment, n'y tenant plus,
je finis par lever les yeux vers lui et suis bouleversé par les larmes
qui roulent sur ses joues.
« Après tout ce qu'on a traversé ensemble, je n'aurais jamais cru qu'un jour vous me repousseriez loin de vous ainsi... »
« Je m'en veux de t'avoir fait souffrir... je le comprendrais si tu refusais de me pardonner... »
« Vous savez très bien que je vous ai déjà pardonné... »
Il détourne le regard avant d'ajouter :
« Je vous aime du plus profond de mon être... depuis le premier jour...
et ce sentiment n'a fait que croître en moi... Même si je sais qu'il
n'est pas réciproque, il sera toujours là... Et je serai toujours à vos
côtés... enfin, si vous voulez bien que je revienne... »
Cet air perdu sur son visage me déchire le cœur. Je sais qu'aucun des mots que je pourrais prononcer ne serait assez fort pour lui prouver mon
attachement pour lui. Réalisant que les actes sont plus importants que
les paroles, je me redresse, m'agenouille et approche lentement mon
visage du sien. Je m'arrête une fraction de seconde... je sens son
souffle sur mes lèvres et son regard vient de se souder au mien... je
franchis l'espace qui nous sépare... nos lèvres se frôlent à peine en
une caresse aussi légère que la brise du matin. Ce baiser n'est qu'un
effleurement et pourtant, j'ai l'impression qu'il dure une éternité.
Et, au moment où je m'éloigne lentement de lui, attendant sa réaction
avec un peu d'anxiété, il se jète dans mes bras. Il enfouit son visage
dans mon cou. Je le serre contre moi en silence. C'est à cet instant
précis que je réalise que j'ai failli le perdre pour toujours... et que
je n'aurais pas pu le supporter...